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Yasmin

17 décembre 2015, Libération

La pilule Yasminelle assignée en justice en Allemagne

Le procès symbole d'une plaignante allemande victime d'une embolie pulmonaire contre le laboratoire Bayer et sa pilule contraceptive de quatrième génération débute ce jeudi outre-Rhin. L'enjeu économique est colossal pour le «big pharma» allemand, numéro un mondial des traitements contraceptifs.

Sa gynécologue avait conseillé la pilule Yasminelle des laboratoires Bayer à Felicitas Rohre. Elle lui avait décrit le contraceptif comme «particulièrement bien toléré, bon pour la peau et pour la ligne», conformément aux arguments mis en avant par la notice accompagnant le produit. Huit mois plus tard, en juin 2009, Felicitas Rohre s’écroulait, victime d’une double embolie pulmonaire. La jeune femme, aujourd’hui âgée de 31 ans, ne pourra jamais exercer son métier de vétérinaire, et ne pourra sans doute pas avoir d’enfants.

«Les médecins n’arrivaient pas à croire qu’une femme de 25 ans puisse subir soudainement une embolie pulmonaire, raconte-t-elle. Après examen, le diagnostic exclut toute autre cause que ma pilule.» Yasminelle fait partie des contraceptifs dits de la quatrième génération. Son principe actif, la molécule drospirenon, est mis en cause par plusieurs études. Selon une étude de BfArM, l’autorité compétente pour les médicaments outre-Rhin, le risque de thrombose est estimé entre 5 et 7 cas pour 10 000 pour les pilules de la deuxième génération ; contre 9 à 12 cas pour Yasminelle. Soit le double.

Dans un rapport publié début décembre, la caisse maladie Techniker-Krankenkasse met elle aussi en garde contre les pilules des troisième et quatrième générations, recommandant d’utiliser des préparations de la seconde génération. En France, la polémique a conduit la Sécurité sociale à cesser de rembourser les pilules de la famille de Yasminelle, provoquant un effondrement des ventes et… un recul des admissions hospitalières pour embolie pulmonaire chez les femmes.

Depuis qu’elle est sortie du coma, Felicitas Rohre consacre une partie de son énergie à se battre contre Bayer. Le groupe d’entraide qu’elle a fondé perturbe régulièrement les assemblées générales du géant pharmaceutique, leader mondial sur le créneau des contraceptifs. Jeudi débutait à Waldshut-Tiengen, dans le Bade-Wurtemberg (sud-ouest du pays) le procès qui l’oppose à Bayer. Felicitas Rohre ne veut pas d’arrangement à l’amiable : son objectif est d’obtenir 200 000 euros de dommages et intérêts et l’interdiction pure et simple des pilules de la quatrième génération.

La partie s’annonce difficile. Yasmin, Yasminelle et les autres contraceptifs de la même famille ont permis à Bayer de réaliser l’an passé un chiffre d’affaires de 768 millions d’euros, sur un CA total de 42,2 milliards d’euros. véritables «blockbusters», ces pilules font partie du top 10 des ventes du groupe, même si les ventes ont chuté avec le scandale (Yasmin réalisait avant plus d’un milliard de chiffre d'affaires par an).

Pour étouffer le scandale, Bayer n’a pas hésité à verser 2 milliards d’euros à quelque 10 000 plaignantes aux Etats Unis, en dehors des tribunaux, pour éviter d’avoir à admettre une quelconque culpabilité. Bayer maintient toujours la même ligne de défense : «Nous considérons que le profil risque-profit de ces pilules est positif», explique le porte-parole du groupe de Leverkusen. Une ligne de défense qui a valu au groupe d’emporter une manche en début d’année dans un retentissant procès en Suisse, opposant le géant allemand à la famille d’une jeune fille lourdement handicapée à 16 ans à la suite d’une embolie pulmonaire. Par Nathalie Versieux, Berlin